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GERMINAL.

d’un air de honte. Eux, sans doute, le connaissaient, et ils n’avaient plus de rancune contre lui, ils semblaient au contraire le craindre, rougissant à l’idée qu’il leur reprochait d’être des lâches. Cette attitude lui gonfla le cœur, il oubliait que ces misérables l’avaient lapidé, il recommençait le rêve de les changer en héros, de diriger le peuple, cette force de la nature qui se dévorait elle-même.

Une cage embarqua des hommes, la fournée disparut, et comme d’autres arrivaient, il vit enfin un de ses lieutenants de la grève, un brave qui avait juré de mourir.

— Toi aussi ! murmura-t-il, navré.

L’autre pâlit, les lèvres tremblantes ; puis, avec un geste d’excuse :

— Que veux-tu ? j’ai une femme.

Maintenant, dans le nouveau flot monté de la baraque, il les reconnaissait tous.

— Toi aussi ! toi aussi ! toi aussi !

Et tous frémissaient, bégayaient d’une voix étouffée :

— J’ai une mère… J’ai des enfants… Il faut du pain.

La cage ne reparaissait pas, ils l’attendirent, mornes, dans une telle souffrance de leur défaite, que leurs regards évitaient de se rencontrer, fixés obstinément sur le puits.

— Et la Maheude ? demanda Étienne.

Ils ne répondirent point. On fit signe qu’elle allait venir. D’autres levèrent leurs bras, tremblants de pitié : ah ! la pauvre femme ! quelle misère ! Le silence continuait, et quand le camarade leur tendit la main, pour leur dire adieu, tous la lui serrèrent fortement, tous mirent dans cette étreinte muette la rage d’avoir cédé, l’espoir fiévreux de la revanche. La cage était là, ils s’embarquèrent, ils s’abîmèrent, mangés par le gouffre.

Pierron avait paru, avec la lampe à feu libre des porions, fixée dans le cuir de sa barrette. Depuis huit jours, il était chef d’équipe à l’accrochage, et les ouvriers s’écartaient, car les honneurs le rendaient fier. La vue