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LE CARNET DE DANSE

Je vais le prier de ne pas écrire si gros sur mon carnet : son nom tient trop de place.

Le petit livre qui, lui aussi, semblait las du cousin Charles, faillit se fermer d’ennui. Les carnets de danse, je le soupçonne, détestent franchement les maris. Le nôtre tourna ses feuillets et présenta sournoisement d’autres noms à Georgette.

— Louis, murmura l’enfant. Ce nom me rappelle un singulier danseur. Il est venu, sans presque me regarder, me prier de lui accorder un quadrille. Puis, aux premiers accords des instruments, il m’a entraînée à l’autre bout du salon, j’ignore pourquoi, en face d’une grande dame blonde qui le suivait des yeux. Il lui souriait par moments, et m’oubliait si bien que je me suis vue forcée à deux reprises de ramasser moi-même mon bouquet. Quand la danse le ramenait auprès d’elle, il lui parlait bas ; moi, j’écoutais et je ne comprenais point. C’était peut-être sa sœur. Sa sœur, oh ! non : il lui prenait la main en tremblant, et, lorsqu’il tenait cette main dans la sienne, l’orchestre le rappelait vainement auprès de moi. Je demeurais là, comme une sotte, le bras tendu, ce qui faisait fort mauvais effet ; les figures en restaient toutes brouillées. C’était peut-être sa femme. Que je suis niaise ! sa femme, vraiment, oui ! Charles ne me parle jamais en dansant. C’était peut-être…

Georgette resta les lèvres demi-closes, absorbée, pareille à un enfant mis en face d’un jouet inconnu, n’osant approcher et agrandissant les yeux pour