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LE CARNET DE DANSE

grande attention, paraissant songer à toute autre chose.

Comme elle en tournait les pages, le nom de Charles, inscrit en tête de chacune d’elles, finit par l’impatienter.

— Toujours Charles, se dit-elle. Mon cousin a une belle écriture ; voilà des lettres longues et penchées qui ont un aspect grave. La main lui tremble rarement, même lorsqu’elle presse la mienne. Mon cousin est un jeune homme très-sérieux. Il doit être un jour mon mari. À chaque bal, sans m’en faire la demande, il prend mon carnet et s’inscrit pour la première danse. C’est là sans doute un droit de mari. Ce droit me déplaît.

Le carnet devenait de plus en plus froid. Georgette, le regard perdu dans le vide, semblait résoudre quelque grave problème.

— Un mari, reprit-elle, voilà qui me fait peur. Charles me traite toujours en petite fille ; parce qu’il a remporté huit ou dix prix au collège, il se croit forcé d’être pédant. Après tout, je ne sais trop pourquoi il sera mon mari ; ce n’est pas moi qui l’ai prié de m’épouser ; lui-même ne m’en a jamais demandé la permission. Nous avons joué ensemble autrefois ; je me souviens qu’il était très-méchant. Maintenant il est très-poli ; je l’aimerais mieux méchant. Ainsi je vais être sa femme ; je n’avais jamais bien songé à cela ; sa femme, je n’en vois vraiment pas la raison. Charles, toujours Charles ! on dirait que je lui appartiens déjà.