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ET DU PETIT MÉDÉRIC

riches, un trait final du meilleur esprit. Jugez si je me suis rassasié. Puis, quand je vous ai aperçu, franchement, j’ai craint les suites d’un pareil régal. Je tenais une antithèse, une belle et bonne antithèse, le plus fin morceau qui puisse être servi à un poëte. Vous le voyez, je ne puis accepter votre pêche.

— Bon Dieu ! s’écria Sidoine après un moment de silence, le pays est décidément plus absurde que je ne croyais. Voilà un fou d’une étrange sorte.

— Mon mignon, répondit Médéric, celui-ci est un fou, mais un fou innocent, un mendiant d’âme généreuse, donnant aux hommes plus qu’il ne reçoit. Je me sens aimer comme lui les grandes routes et la jolie chasse aux idées. Pleurons ou rions, si tu veux, à le voir grand et ridicule ; mais, je t’en prie, ne le rangeons pas parmi les trois monstres de tantôt.

— Range-le comme tu voudras, mon frère, reprit Sidoine de méchante humeur. La pêche me reste, et ces quatre imbéciles ont tellement troublé mes idées sur les biens de la terre, que je n’ose y porter la dent.

Cependant le poëte s’était assis au bord de la route, écrivant du doigt sur la poussière. Un bon sourire éclairait sa figure maigre, donnant à ses pauvres traits fatigués une expression enfantine. Dans son rêve, il entendit les dernières paroles de Sidoine, et, comme s’éveillant :

— Monsieur, dit-il, êtes-vous véritablement embarrassé de cette pêche ? Donnez-la-moi. Je sais, près