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ET DU PETIT MÉDÉRIC

— C’est cela, mon frère Médéric, nous sommes dans un pays de monstres. Hé ! regarde. Vois-tu venir à nous ce quatrième mendiant que j’attendais ? Est-il assez déguenillé, assez maigre, assez affamé, assez effarouché ? Certes, celui-là marche sur son âme, comme tu le disais tantôt.

L’homme qui s’avançait suivait le bord du fossé, faisant avec amour des miracles d’équilibre. Il venait, les mains derrière le dos, le nez au vent ; son pauvre corps flottait dans ses minces vêtements, et sa face exprimait je ne sais quel singulier mélange de béatitude et de souffrance. Il paraissait rêver, le ventre vide, d’un large et plantureux festin.

— Je ne comprends plus rien à la terre, reprit Sidoine, si ce vagabond n’accepte pas ma pêche. Il meurt de faim et ne me paraît ni un coquin ni un honnête homme. Le tout est de la lui offrir poliment. Mon frère Médéric, charge-toi de cette délicate expédition.

Médéric descendit à terre. Comme il était sur le bout du soulier de Sidoine, l’homme vint à l’apercevoir.

— Oh ! dit-il, le joli petit insecte ! Mon bel ami, buvez-vous la rosée et vous nourrissez-vous de fleurs ?

— Monsieur, répondit Médéric, l’eau pure m’indispose, et je ne puis, sans maux de tête, endurer les parfums.

— Eh ! l’insecte parle ! L’excellente rencontre ! Vous me sauvez d’une grande disette, mon aimable scarabée.