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SŒUR-DES-PAUVRES

songer aux tonneaux qui s’épuisent ; Guillaumette aimait les rubans, les robes de soie, les longues heures perdues à tâcher vainement de se faire jeune et belle ; si bien qu’un jour le vin manqua à la cave, et que le miroir fut vendu pour acheter du pain. Jusqu’alors, ils avaient eu cette bonté de certains riches, qui souvent n’est qu’un effet du bien-être et du contentement de soi ; ils sentaient plus profondément le bonheur en le partageant avec autrui et mêlant ainsi beaucoup d’égoïsme à leur charité. Aussi ne surent-ils pas souffrir et rester bons ; regrettant les biens qu’ils avaient perdus, n’ayant plus de larmes que pour leur misère, ils devinrent durs envers le pauvre monde.

Oubliant que leur pauvreté était leur œuvre, ils accusaient chacun de leur ruine ; ils se sentaient au cœur un grand besoin de vengeance, exaspérés de leur pain noir, cherchant à se consoler en voyant plus grande souffrance que la leur.

Aussi se plaisaient-ils aux haillons de Sœur-des-Pauvres, à ses petites joues amincies, toutes blanches de larmes. Ils ne s’avouaient pas la joie mauvaise qu’ils prenaient à la faiblesse de cet enfant, lorsque, au retour de la fontaine, elle chancelait, tenant à deux mains la lourde cruche. Ils la battaient pour une goutte d’eau versée, disant qu’il fallait corriger les mauvais caractères ; et ils frappaient avec tant de hâte et de rancune qu’on voyait aisément que ce n’était pas là une juste correction.

Sœur-des-Pauvres souffrait toute leur misère. Ils la