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LE SANG

brouillards du matin. L’orage de la nuit avait donné plus de sérénité au ciel, plus de vigueur aux feuilles vertes. Mais le sentier se trouvait bordé des mêmes épines qui me déchiraient la veille ; les mêmes cailloux durs et tranchants roulaient sous mes pieds ; les mêmes serpents rampaient dans les buissons et me menaçaient au passage. Le sang du juste avait coulé dans les veines du vieux monde, sans lui rendre l’innocence de sa jeunesse.

La fauvette passa sur ma tête, et me cria :

― Va, va, je suis bien triste. Je ne puis trouver une source assez pure où me baigner. Regarde, la terre est méchante comme hier. Jésus est mort, et l’herbe n’a pas fleuri. Va, va, ce n’est qu’un meurtre de plus.



V


La trompette sonnait toujours le départ.

― Fils, dit Gneuss, c’est un laid métier que le nôtre. Notre sommeil est troublé par les fantômes de ceux que nous frappons. J’ai, comme vous, senti, pendant de longues heures, le démon du cauchemar peser sur ma poitrine. Voici trente ans que je tue, j’ai besoin de sommeil. Laissons là nos frères. Je connais un vallon où les charrues manquent de bras. Voulez-vous que nous goûtions au pain du travail ?