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LE SANG

s’assit, puis se dressa et appela ses compagnons. Les éclats de sa voix l’effrayèrent ; il craignit d’avoir attiré sur lui l’attention des cadavres.

La lune parut, et Gneuss vit avec épouvante un pâle rayon glisser sur le champ de bataille. Maintenant la nuit n’en cachait plus l’horreur. La plaine dévastée, semée de débris et de morts, s’étendait devant le regard, lugubre et couverte d’un linceul de lumière ; et cette lumière, qui n’était pas le jour, éclairait les ténèbres, sans en dissiper les effrayants mystères.

Gneuss, debout et la sueur au front, eut la pensée de monter sur la colline pour éteindre le flambeau céleste. Il se demanda ce qu’attendaient les morts pour se dresser et venir l’entourer, maintenant qu’ils le voyaient. Leur immobilité devint une angoisse pour lui ; dans l’attente de quelque événement terrible, il ferma les yeux.

Et, comme il était là, il sentit une chaleur tiède au talon gauche. Il se baissa vers le sol et vit un mince ruisseau de sang qui fuyait sous ses pieds. Ce ruisseau, bondissant de cailloux en cailloux, coulait avec un gai murmure ; il sortait de l’ombre, se tordait dans un rayon de lune et s’enfuyait dans l’ombre ; on eût dit un serpent aux noires écailles dont les anneaux glissaient et se suivaient sans fin. Gneuss recula et ne put refermer les yeux ; une effrayante contraction les tenait grands ouverts et fixés sur le flot sanglant.

Il le vit se gonfler lentement et s’élargir dans son lit. Le ruisseau devint rivière, rivière lente et paisible