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cesser que les deux dernières, en envoyant Fischer à la Maison Carrée, la femme alla habiter Alger. » L’intention est ici manifeste, on supprime la femme Fischer, pour ne pas même laisser à mon père l’excuse passionnelle. Une femme dans l’affaire, comme je l’ai dit, c’était l’explication indulgente de bien des choses. Mais la suppression du second passage est encore plus grave. Voici ce passage : « Le sieur Fischer s’est offert à acquitter pour Zola le montant des dettes au payement desquelles les 2,000 francs saisis dans la malle ne suffiraient pas. Cette offre acceptée, tous les créanciers ont pu être payés, et le conseil d’administration couvert du déficit existant en magasin. » Mon père paye, le conseil d’administration lui donne quittance, et c’est justement cela qu’on supprime. Après les accusations féroces, qu’on imprime, on omet volontairement les lignes où il est dit qu’il a réglé ses comptes, qu’il n’a donc pas laissé de malversations derrière lui. On s’était dit le fameux : « Ça ne se saura pas. » Et cela ne serait pas une pièce falsifiée, cela ne serait pas un faux ! C’est un faux.

Je ne connais pas M. Judet, je ne l’ai jamais vu, je ne me suis jamais occupé de lui. Parce que nous ne pensions pas de même sur une question de justice, il a écrit contre mon père et contre moi une page immonde. Je ne sais s’il a conscience de sa faute, qui pèsera lourdement sur sa mémoire. Moi, je l’ignorerai demain comme je l’ignorais hier, et je n’aurai plus qu’un peu d’amère pitié.

Et, pour finir, j’en appelle de la lettre Combe à la lettre Rovigo, du colonel arrivé seulement depuis quelques jours, au général qui, depuis des mois, commandait en chef le corps d’occupation.

Le duc de Rovigo a écrit ceci : « M. Zola n’était encore soupçonné que de mauvaise administration. » Et encore ceci : « Je n’ai point exercé les pouvoirs d’une chambre de conseil des tribunaux ordinaires, parce qu’il n’y avait pas de plainte juridique. » Et enfin ceci : « À quel titre pourrais-je, pour ces faits, signer un ordre d’informer contre un homme qui a rempli tous les engagements qu’il avait pris ? »

Cela me suffit, en attendant que je tâche défaire toute la vérité.

III

Un dossier encore, concernant l’ingénieur François Zola, vient d’être trouvé au ministère de la guerre. C’est le troisième, et il dormait aux archives du génie, où j’avais soupçonné son existence, sur les indications des documents que j’ai déjà entre les mains. Cette fois, il s’agit d’un dossier relatif au nouveau système de fortification, inventé par mon père et soumis par lui aux autorités compétentes. Mais l’examen de ce dossier me ramènera à la prétendue lettre Combe, et je crois bien que j’en tirerai une démonstration intéressante.

J’ai donc reçu de M. le contrôleur général Crétin, le 26 janvier, une lettre où il était dit : « J’ai l’honneur de vous faire connaître que, sur votre demande, M. le ministre a fait rechercher dans les archives du comité du génie, s’il existait trace d’un projet de fortification de Paris, présenté par M. François Zola, en 1840. Le dossier relatif à cette affaire vient de me parvenir, et M. le ministre m’autorise à vous en donner communication dans mon cabinet. »

Je me suis par conséquent rendu le lendemain dans le bureau de M. le contrôleur général, que je tiens à remercier de son obligeance inépuisable. Et j’ai pris connaissance du dossier.

Mais, avant de dire ce que j’y ai trouvé, il est nécessaire que j’éclaire un peu la question. Je rappelle donc que, dès 1830, mon père avait soumis son nouveau système au roi Louis-Philippe. En 1831, il avait demandé une audience au général Saint-Cyr Nugues, président du comité du génie, pour lui en montrer les plans, et, dans sa réponse du 14 avril, ce général lui avait conseillé de déposer ses plans, pour qu’il pût les faire examiner par un rapporteur. Cette lettre est au dossier administratif, ainsi qu’une note du rapporteur choisi, M. le maréchal de camp Prévost de Vernois, qui dit sa bonne impression après un rapide coup d’œil. J’insiste sur cette première présentation faite par mon père de son projet, en 1831, que les pièces ci-dessus mettent hors de doute, mais dont la trace n’a pas encore été retrouvée au comité du génie. Les recherches continuent.

J’ajoute que l’idée de fortifier Paris était très impopulaire en 1831. Le projet de mon père n’avait aucune chance d’être accueilli, quelle que fût sa valeur, et il est certain qu’il le présentait surtout en inventeur désireux de faire connaître son mérite et de prendre date. D’ailleurs, il fut nommé, en juin, lieutenant dans la légion étrangère, il partit pour l’Afrique, et le projet se trouva naturellement enterré. Mais, en 1840, lorsque la fortification de Paris fut décidée, malgré l’opposition toujours vive, mon père naturellement reprit son projet, le présenta de nouveau au roi, le déposa une seconde fois au ministère de la guerre. Et remarquez qu’il était contre l’enceinte continue, qu’il soutenait le système des forts détachés, ce qui était alors considéré comme une idée baroque de novateur, indigne même d’un examen sérieux.

J’ai déjà dit, dans un autre article, comment le projet, présenté au roi, fut renvoyé au ministre de la guerre, qui convoqua mon père le 10 octobre 1840, pour en causer avec lui. Et j’en arrive enfin au dossier qu’on vient de retrouver et où se trouve le dénouement de l’affaire.

Ce dossier ne se compose que de trois pièces : 1o un rapport du 3 novembre 1840, du lieutenant-général Dode, directeur supérieur des travaux de fortifications de Paris, sur le mémoire de François Zola ; 2o une lettre transmissive (du même jour) dudit rapport au ministre de la guerre ; 3o la minute de la lettre adressée le 26 novembre 1840 à François Zola par le ministre de la guerre.

Le rapport du lieutenant-général Dode n’est pas tendre. Imaginez un classique du temps, auquel un romantique aurait soumis des vers à