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LUCIUS.


exercés, ce grand moqueur sérieux, qu’on a appelé avec quelque raison le Voltaire de l’antiquité, Lucien de Samosate. Il suffit de lire quelques pages de cette gaie et spirituelle fiction, pour reconnaître que tout y est de loi, bon sens incisif, gaîté contenue, style, manière, habitudes d’écrit et de langage.

Ces caractères avaient déjà frappé le patriarche grec Photius, le seul des anciens qui nous ait transmis quelques détails précis sur la Luciade, Son témoignage est assez important pour être cité tout entier :

« J’ai lu les Métamorphoses de Lucius de Patras, en plusieurs livres : la diction en est claire et élégante, le style plein de douceur. Il évite avec soin les agencements insolites de mots ; mais, pour le fond des choses, il recherche le merveilleux outre mesure : c’est en quelque sorte un second Lucien. Les deux premiers livres reproduisent presque littéralement l’ouvrage de Lucien, intitulé : Lucius ou l’Ane, à moins que ce ne soit Lucien qui a copié Lucius, J’inclinerais même volontiers à croire que Lucien est l’imitateur ; car je n’ai pu découvrir lequel des deux est antérieur à l’autre. Il aurait alors tiré son ouvrage, comme d’un bloc, de celui de Lucius, abrégeant, élaguant tout ce qui ne lui semblait pas aller à son but, conservant même les mots et les tournures ; de sorte que le livre intitulé Lucius ou l’Ane, ne serait que la réunion en un même ensemble de tous ces plagiats. On trouve au reste chez tous deux mêmes inventions merveilleuses, mêmes turpitudes, avec cette seule différence que Lucien, dans cet ouvrage comme dans tous les autres qu’il a composés, n’a d’autre but que de jouer et de bafouer les superstitions de la Grèce ; Lucius, au contraire, parle sérieusement ; il croit aux transformations d’un homme en un autre, d’homme en bête, et réciproquement, et à tout ce radotage de vieilles fables qu’il a racontées et cousues dans son livre. »

Ainsi, du temps de Photius, c’est-à-dire au neuvième siècle, il existait sur le même sujet deux ouvrages distincts : l’un attribué à Lucien, et répondant parfaitement, pour le titre, le caractère, la verve satirique à celui que nous possédons ; l’autre, intitulé Métamorphoses, véritable ramas de fables sans lien et sans unité, dont l’Ane-d’Or d’Apulée paraît être une traduction ou une imitation. Il n’est guère possible dès