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temps. Vingt jours après, ma promenade habituelle me conduisit vers le port : une barque abordait au moment même ; je m’arrêtai un peu pour voir d’où elle venait et qui elle portait. Avant même que le pont fût bien assuré, quelqu’un s’en élança, pour courir à moi et m’embrasser ; c’était Charias, mon ami d’enfance : — « Bonne nouvelle pour toi, Cnémon, s’écria-t-il ; tu as justice de ton ennemie ; Déménète est morte. — Sois le bien venu, Charias, lui dis-je ; mais pourquoi passer si rapidement sur cette bonne nouvelle, comme si tu m’annonçais quelque malheur. Donne-moi quelques détails ; car je crains fort qu’elle ne soit morte naturellement et qu’elle n’ait échappé au supplice qu’elle méritait. — La justice, dit Charias, ne nous a pas fait complétement défaut, comme dit Hésiode : quoiqu’elle semble quelquefois fermer les yeux et ajourner ses vengeances, de telles scélératesses attirent aussitôt son regard vengeur, et c’est elle qui vient de frapper l’infâme Déménète. Rien de ce qui s’est dit ou fait ne m’a échappé ; tu sais mes relations avec Thisbé : elle-même m’a tout raconté. Lorsque cet injuste décret de bannissement t’eut frappé, ton malheureux père, aux regrets de ce qu’il avait fait, se retira à la campagne et se confina dans la solitude, rongeant son cœur, comme dit le poëte. Quant à elle, les furies vengeresses la poursuivirent incontinent. Ton absence avait enflammé encore sa passion furieuse : elle ne cessait de gémir ; en apparence c’était sur ton sort, en réalité elle pleurait sur elle-même : « Cher Cnémon, criait-elle nuit et jour, mon aimable enfant, mon âme ! » Aussi, quand ses amies venaient la visiter, ne pouvaient-elles s’étonner et s’émerveiller assez de trouver chez une marâtre les sentiments d’une mère ; elles s’efforçaient de la consoler et de relever son courage mais elle répondait que le mal était sans remède et que les autres ignoraient de quel aiguillon son cœur était percé.