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le mouvement stoïcien en italie

querelles de pamphlets des Pogge, des Filelfe, des Valla. Quelles invectives, quelles injures grossières soulève leur jalouse haine[1] !

Et cependant, cette expansion du moi, où l’intelligence tient la première place, ne manque pas de grandeur. On est capable de sacrifier des intérêts d’un ordre matériel pour conquérir la réputation d’homme de lettres. Filelfe, dont nous connaissons les goûts de luxe, incompatibles avec la vie peu lucrative d’un lettré, abandonne une position brillante à Constantinople pour revenir chercher la gloire en Italie, à ce foyer intellectuel d’où rayonnait alors la lumière qui éclairait le monde. C’est après sept ans et demi d’honneurs et de bien-être qu’il quitta Jean Paléologue pour poursuivre à Venise un avenir incertain[2].

Mais cette conception d’un idéal de vie est relative à tout individu et n’a rien, semble-t-il, qui rappelle la loi autonome du Sage stoïcien. Ce dernier, en effet, ne relève que de sa seule volonté, mais à condition d’entendre cette volonté comme l’expression de la raison universelle. Or, pour les hommes de la Renaissance, cette volonté n’est au contraire appréciée que dans la mesure où elle ne ressemble à aucune autre. Cependant cette différence n’est point aussi absolue qu’elle le paraît au premier abord : toute conception individualiste de la vie peut créer, dans une certaine mesure, une manière de penser, de sentir et d’agir vraiment stoïcienne. Chercher en soi, pour les développer, les forces de la nature, c’est déjà substituer à un idéal objectif un idéal purement subjectif ; c’est, avant de prendre l’habitude de la réflexion profonde, tourner son regard vers le dedans et se préparer à l’examen de conscience ; c’est encore apprendre à marcher seul dans la vie, sans se soucier d’une direction extérieure ; c’est enfin croire à l’efficacité de l’effort. N’est-ce point là une conclusion pratique de cette vertu stoïcienne, où la force d’âme joue le plus grand rôle, où l’optimisme trouve son application directe dans l’identité des deux termes : vertu et bonheur ?

Chez les hommes de la Renaissance, l’idéal de la gloire vient fortifier la foi en l’efficacité de l’effort et rendre inutiles les sanctions de l’au-delà. Ils ont tous plus ou moins caressé ce rêve d’immortalité. Dante parlait déjà de l’âpre désir d’exceller[3], de

  1. Ch. Nisard, Les gladiateurs de la République des Lettres (Paris, 1860).
  2. Ibid.
  3. Cf. Brunetière, Manuel de l’Histoire de la Littérature française (Paris, 1809), p. 60.