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lopin de terre patrimonial, influence que l’on trouvait tellement ridicule chez les autres. En tout cas nous perdons beaucoup à ce que ces tentatives ne nous aient pas été contées avec la même naïveté (selon l’expression favorite) que les autres.

Je crois, à leur honneur, que ni le père ni le fils n’eussent été assez logiciens pour faire produire à la grande propriété les conséquences rigoureuses que d’autres en ont tirées avec une inflexibilité rien moins qu’humaine. La duchesse de Sutherland donna la première l’exemple très applaudi d’une dépopulation systématique : elle remplaça par des moutons les habitants qu’une terre ingrate était impuissante à nourrir. D’autres boisèrent les cantons impropres à la culture. Arbres et troupeaux subvenaient aux besoins de l’homme : quand elle était faite avec bonté, avec douceur, cette meilleure appropriation du sol ne méritait que des louanges. Je regrette de ne pouvoir donner ici, avec les noms, le récit des essais inspirés par la générosité la plus ardente et la plus éclairée à des propriétaires dont beaucoup, commerçants retirés, apportaient dans leur nouvelle tâche l’esprit avisé, persévérant des affaires ; ils avaient à cœur de garder à la patrie des bras robustes et des cœurs dévoués. Trop souvent on s’y prit de façon sommaire : chassés des montagnes les pauvres gens descendaient sur la plage pour demander à la mer la subsistance que le sol refusait, on se débarrassait de ce voisinage incommode en incendiant les abris qu’ils s’étaient construits dans les rochers. Si quelques personnes ne voyant pour leurs tenanciers d’autre ressource que l’émigration leur facilitaient le passage en famille et avec de légères avances qui rendaient l’expatriation moins douloureuse, d’autres les forçaient à s’entasser dans des navires plus propres à la traite qu’au transport, et la petite vérole retranchait bien vite du banquet de la vie ceux qui