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voir une telle fortune due tout entière à la charrue. Il ne me laissa pas ignorer qu’il était noble, exempt de tailles, et jouissait du privilège de la chasse, son père ayant acheté la charge de secrétaire du roi ; mais, homme sage ayant tout, il vit en fermier. Sa femme apprêta la table, et son régisseur, la fille de laiterie, etc., etc., prirent place avec nous. Voilà de vraies façons campagnardes ; elles sont très convenables et ne menacent pas, comme les airs à prétention de petits gentilshommes, de dévorer une fortune pour satisfaire à une fausse honte et à de sottes vanités. La seule chose à laquelle je trouve à redire, c’est la construction d’une habitation bien au delà de sa manière de vivre, et qui ne peut avoir pour effet que d’induire un de ses successeurs à des dépenses qui dissipent ses épargnes et celles de son père. Cela serait sûr en Angleterre ; en France, il y a moins de danger.

Le 4. — Gagné Château-Thierry en suivant le cours de la Marne. Le pays est agréablement varié, et offre assez d’accidents de terrain pour former toujours tableau, s’il s’y trouvait des haies. Château-Thierry est magnifiquement placé sur cette rivière. Il était cinq heures quand j’y arrivai, et dans un moment si plein d’intérêt pour la France et même pour l’Europe, je désirais lire un journal. Je demandai un café ; il n’y en avait pas dans la ville. On compte ici deux paroisses et quelques milliers d’habitants, et il n’y a pas un journal pour le voyageur dans un moment où tout devrait être inquiétude ! Quel abrutissement, quelle pauvreté, quel manque de communications ! À peine si ce peuple mérite d’être libre ; le moindre effort vigoureux pour le maintenir en esclavage serait couronné de succès. Celui qui s’est habitué à voir, en parcourant