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instant, il arrive des provinces des nouvelles d’émeutes et de troubles, on appelle la force armée pour maintenir l’ordre sur les marchés. Les prix dont on parle sont les mêmes que j’ai trouvés à Abbeville et à Amiens, cinq sous (deux deniers et demi) la livre de pain blanc ; celle de pain bis, dont se nourrissent les pauvres, de trois sous et demi à quatre sous. Ce taux est au delà de leurs moyens et occasionne une grande misère. À Meudon, la police, c’est-à-dire l’intendant, a ordonné que personne n’achetât de froment sans prendre à la fois une égale quantité d’orge. Quelle ridicule et stupide réglementation que celle qui met obstacle à l’approvisionnement du marché, afin qu’il soit mieux approvisionné ; qui montre au peuple les appréhensions du gouvernement, créant par là des frayeurs et faisant hausser les prix que l’on voudrait voir baisser. J’ai causé de ceci avec quelques personnes instruites, qui m’ont assuré que le prix est, comme d’ordinaire, trop élevé par rapport à la demande, et qu’il n’y aurait pas eu de disette réelle si M. Necker avait laissé tranquille le commerce des grains ; mais que ses édits restrictifs, purs commentaires de son livre sur cette matière, ont plus contribué à élever le cours que tout le reste. Il me paraît clair que les violents amis des communes ne sont pas mécontents de cette cherté, qui seconde grandement leurs vues et leur rend un appel aux passions du peuple plus facile que si le marché était bas. Il y a trois jours, le clergé a imaginé une proposition très insidieuse : c’était d’envoyer aux communes une députation pour leur soumettre l’idée d’un comité des trois ordres, qui s’occupât de la misère du peuple et délibérât sur les moyens d’amener une baisse. Ceci eût conduit à la délibération par ordre et non par tête, et devait, conséquemment, être rejeté ; les communes se