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Désormais elle n’irait plus aux bals, ou bien elle aurait pour la faire danser son mari, qui l’aimait. Mais s’il l’aimait en ce moment, peut-être finirait-il par se dégoûter d’elle, à entendre dire qu’elle était laide, à la voir auprès d’autres femmes ? On lui avait souvent affirmé que l’amour naissait de l’habitude : elle s’habituerait donc à aimer d’amour ce pauvre John Morris, et ils pourraient vivre ensemble, heureux, infiniment heureux ?…

Tout d’un coup elle se redressa sur son lit, terrifiée. Elle venait de découvrir que l’idée de son mariage ne lui apportait aucune joie. De nouveau elle se raisonna, se contraignant à imaginer des motifs de plaisir. Est-ce que son âme était désormais close au bonheur ? Et il lui apparut au contraire que le bonheur s’ouvrait devant elle, un bonheur tranquille et discret, mais sûr, éternel. Elle resterait fille, elle vivrait avec ses parents, elle marierait sa sœur et élèverait les enfants. Oui, elle avait été folle jusque-là de se désespérer, et plus folle encore depuis quelques heures de se réjouir d’une chose impossible. Elle n’était pas née pour le mariage, voilà tout.