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heur qu’elle méritait et qu’elle n’avait pas. Tout ce qu’elle entendait, lisait, imaginait, tout la forçait à de désastreux retours sur elle-même.

Combien de distractions n’avait-elle pas cherchées, le dessin et la musique, les travaux du ménage, et jusqu’à une existence à demi hallucinée, où elle voulait se figurer qu’elle avait quelque part un timide amant épris de sa beauté ! Rien n’y avait pu faire : sur son esprit s’était fixé un couvercle d’un poids mortel. Elle sentait que tout l’intéresserait, qu’elle excellerait en toutes choses, si seulement elle recouvrait l’unique avantage dont elle était privée. Et, par instants, cette idée lui apparaissait avec une netteté si étrange, qu’elle l’offrait à Dieu comme une prière ou un appel : il s’agissait d’une si petite chose, et elle en avait tant d’autres toutes prêtes pour le moment du miracle.

Avant les vacances, en mai, elle avait rencontré chez une tante ce John Morris, un jeune avocat qui avait été autrefois l’assistant et le protégé de son père. Il était laid, en somme, lui assez ; il avait un nez large et gros, et de petits yeux à