Page:Wyzewa - Un miracle, paru dans Le Figaro, 07, 08 et 09 mai 1890.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours que le miracle espéré était peut-être survenu, et qu’elle allait se voir guérie. Longtemps elle se mira, avec des poses, des essais de sourires : hélas ! elle s’était déjà vue dans toutes ces attitudes, et le miracle, décidément, ne surviendrait jamais !

Et pourtant elle continuait à ne pas comprendre pourquoi elle était laide ; rien ne lui déplaisait, rien ne la choquait, dans cette pâle figure aux cheveux rouges. Il y avait bien ces sourcils épais et presque blancs, cette bouche trop large sous le petit nez enfoncé ; mais pour être singulière, sa figure n’était pas laide. Elle se révoltait contre l’aveuglement universel ; davantage encore, pourtant, contre l’injustice de la destinée : car malgré tout elle le savait trop bien qu’elle était laide, qu’elle le serait toujours ! La vie qu’elle menait depuis tant d’années lui parut tout à coup impossible : elle résolut de se réfugier à Norwich, chez sa grand’mère.

Mais ici ou là, à quoi bon vivre, avec tant d’infortune ? Elle s’était détournée de la glace : et lorsqu’elle s’y regarda de nouveau, il lui parut que ses deux yeux