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NOS MAÎTRES

extérieure ; la musique d’opéra, comme la musique instrumentale, demeuraient exclusivement des musiques. L’adjonction des paroles aux sons, ce n’était nullement une intervention de l’art littéraire dans la musique, car les paroles des opéras, destinées, avant tout, à être chantées, n’exprimaient point des notions précises, elles dirigeaient seulement l’émotion en indiquant sa nature exacte. Un quatuor de Beethoven nous suggère des émotions définies ; mais le maître nous a laissés libres de choisir à ces émotions les causes, Torigine, les accompagnements notionnels qui nous paraissent les plus propres. Un opéra de Gluck, au contraire, — et sans rien exprimer d’autre, lui aussi, que des émotions, — nous indique, au moyen de paroles, la situation de l’âme émue, et ce qui l’émeut. Le personnage souffrant les angoisses traduites dans le quatuor, c’est, à notre gré, Beethoven ou nous-même ; le personnage souffrant les angoisses traduites dans l’opéra, c’est Orphée, Alceste, le héros imposé par le livret de l’œuvre.

Recréer exactement des émotions réelles, au moyen d’une langue musicale précise, ce fut l’objet de Lulli. Sa naïve langue nous est devenue incompréhensible ; mais peu gardèrent un si admirable souci de l’expression rigoureuse. Après lui Rameau acquit au vocabulaire musical des significations nouvelles, dont quelques-unes malheureusement se perdirent bientôt, par la faute même de leur inventeur, qui les avait voulues trop précises. Et, comme les émotions étaient, vers le milieu du xviiie siècle, adorablement légères et fines, une