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L’ART WAGNÉRIEN

Toutefois et même dans les symphonies, la tache de Beethoven (je n’ai point à mentionner ici les émotions qu’il a exprimées) demeure tout admirable. Il a voulu donner un sens spécial aux divers timbres des instruments : que l’on considère les partitions des diverses symphonies : chaque instrument, toujours, intervient lorsqu’est à traduire tel état de l’esprit. Mais Beethoven a compris encore une vérité plus profonde. Il a vu que deux musiques étaient possibles : l’une personnelle, traduisant dans le minutieux détail les émotions d’une àme individuelle ; l’autre exprimant les émotions générales, totales, d’une masse humaine, la résultante d’états multiples, mais surgis en des âmes pareilles de foules. Le Mage divin Beethoven a compris qu’à la traduction d’émotions personnelles et intimes seyait seulement une musique discrète, pouvant être lue dans le recueillement, et jouée sur quelque piano, tandis qu’autour s’épand le silencieux oubli. Les musiques instrumentales, les orchestres, peuvent-ils dire ces détails très subtils à mille auditeurs, dans le tumulte d’une assistance ? À une foule peuvent être offertes seulement les grosses émotions d’une foule : l’orchestre, jusqu’au jour où il deviendra vraiment invisible (où il sera lu en un livre) doit se borner à dire uniquement les grandes passions collectives, les blocs d’émotions générales. Ainsi les œuvres orchestrales de Beethoven, au contraire des sonates et quatuors, expriment toujours des états très généraux, revivent l’àme des foules, non d’individus choisis. C’est moins de minutie dans la