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L’ART WAGNÉRIEN


V

Durant l’été de 1825, Beethoven s’était senti plus qu’à l’ordinaire souffrant : alors son àme, longuement accoutumée aux émotions, fut — sous l’influence encore de maints embarras matériels — saisie par de multiples émotions ; et le maître les recréa volontairement, les promut à la vie enfin réelle de l’art, en son dernier quatuor [1].

Quelque douce brise de jouerie, l’émoi d’un léger rêve consolant, et, malgré le souvenir parfois du mal, la discrète joie s’affermit : des ondées scintillent ; rappel d’heureux passés, imaginations gaies ? Puis voici qu’au torrent gracieux afflue une inquiète coulée : voici revenue la coutumière douleur, s’insinuant de toutes parts dans la pauvre âme un moment divertie. Un large flot d’angoisse ; il se gonfle, il se divise : oh ! combien toujours impitoyable ! Vainement l’artiste se ressaie aux discrètes joueries : le chagrin reparaît, demeure ; au milieu de la plus joyeuse ondée, voyez-le ! Fini le doux exil au bon réel du rêve. Le chant d’angoisse qui l’a interrompu est seulement plus cruel. Alors l’âme hautaine da poète — elle sait bien qu’elle crée volontairement sa peine — saisit le chant de ses angoisses, elle le force à être égayé, elle l’unit intimement avec sa légère jouerie ; c’est maintenant le triomphe du libre pouvoir, une

  1. Quatuor en fa majeur, op. 135.