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NOS MAÎTRES

émotions, devait obéir à ces lois ; par elles il fut régi dans la succession historique de ses aspects et de ses caractères.

La première loi de l’art est le réalisme : c’est au monde de la réalité habituelle que doivent être pris les éléments de la réalité artistique. L’artiste peut seulement imprégner cette réalité habituelle d’une vie plus intense, la transporter volontairement dans l’art. Ainsi les musiciens, toujours, furent pleinement réalistes ; ils n’ont point créé pour la musique des émotions nouvelles, mais seulement cherché à recréer plus vivantes les émotions qui, dans l’habitude, poignaient leurs âmes.

La seconde loi de la vie, et de l’art qui l’exprime, est le passage constant d’un état plus simple, relativement homogène, à un état plus complexe d’hétérogénéité. Sous l’habitude croissante, les émotions s’affinent, se multiplient. C’est d’abord, dans l’àme, à peine deux ou trois vagues passions, la crainte, l’espérance, le fougueux désir. Bientôt s’épandent les nuances, les émotions deviennent plus subtiles, à chaque moraent correspondent des joies, des douleurs spéciales. De là, pour la musique, une complexité croissante des signes et du langage. Les rythmes, au début ; l’émotion produite seulement par les rapports des sons : c’est la mélodie. Puis, sous l’hétérogénéité montante des émotions, naît une forme plus complexe, l’emploi des accords : quelques sons nouveaux sont créés, par des alliances de notes. Enfin, les notes et les accords, qui valaient seulement par leurs relations et mesures, revêtent des significations propres, indépendantes