Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée
47
L’ART WAGNÉRIEN

à la poésie les pensées dites poétiques, toute pensée me paraissant plus facile à exprimer en prose ? La poésie véritable, la seule qui demeure irréductible à la littérature proprement dite, est une musique émotionnelle de syllabes et de rythmes. Aussi voyons-nous les poètes, empêchés encore d’une poésie pure par maintes conventions, et par l’insuffisance de leur vision théorique, les voyons-nous du moins sans cesse plus indifférents au sujet notionnel de leurs œuvres. Ronsard, sous le prétexte d’élégies, créa de superbes symphonies de couleurs et de rythmes, les plus harmonieuses, peut-être, que jamais ait produites un poète français. Après lui, Théophile de Viau — ce phénomène qui stupéfit la régularité cartésienne du xviie siècle — apparut le musicien de sonatines délicates. Jai cité déjà notre puissant et voluptueux Rousseau, dont la phrase, aujourd’hui encore, nous enivre comme un chant d’amour. Lamartine, ensuite, a chanté des passions plus sereines et plus hautes ; et cet inventeur prodigieux, Hugo, a créé la poésie romantique, évoquant les émotions d’une vie toute sensuelle.

Les poètes Parnassiens eurent la gloire de dédier pleinement les vers aux fonctions musicales. À dessein, dans leur besoin obstiné de traiter des sujets rationnels, ils choisirent du moins les sujets les plus vagues et les plus indifférents. Cependant, ils furent les ouvriers d’une poésie prochaine, plutôt que de vrais poètes. Ils forgèrent des sonorités précieuses, d’admirables rythmes subtils ou élargis, mais ils négligèrent le sujet émotionnel, non moins que le sujet notionnel : leurs délicieuses