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L’ART WAGNÉRIEN

ciliés dans un art total, recréant complète la vie de la raison comme celle des sens.

Mais la littérature, art des notions, comme la peinture, art des sensations, ont, sous le développement et la liaison des idées, produit des arts nouveaux, spécialement émotionnels. La peinture a produit les œuvres des Vinci et des Rubens, évoquant rémotion par Fagencement des couleurs et des lignes ; la littérature a produit un art symphonique, la Poésie, évoquant l’émotion par l’agencement musical des rythmes et des syllabes.

Ainsi entendue, la Poésie fut très postérieure à la forme du vers — qu’elle n’implique pas nécessairement — et aux écrivains qu’on nomme les poètes. Le vers avait été, d’abord, un appareil mnémonique : exigé, aussi, par les premières convenances du chant, en raison de sa coupe régulière, favorable aux retours de la mélodie. Mais ni les chanteurs homériques, ni les tragiques grecs, n’étaient soucieux de produire une musique purement verbale.

Les Latins semblent avoir les premiers senti que les mots, par une séculaire liaison avec des idées émouvantes, avaient acquis eux-mêmes une valeur émotionnelle. Ainsi que certaines alliances de couleur, pour avoir longtemps accompagné des objets voluptueux ou tristes, étaient enfin devenues aptes à évoquer, indépendamment de ces objets, la volupté ou la tristesse : ainsi certaines syllabes, longtemps employées à des mots suggérant l’émotion, étaient devenues les signes directs de cette émotion.