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LA RELIGION DE L’AMOUR ET DE LA BEAUTÉ

ser des rêves autrement qu’en rêve : avides de mouvements et de luttes, ils se sentent plus agiles sous un ciel plus froid ; et le brouillard lui-même ne leur déplaît point, comme s’ils espéraient avoir plus de mérite à y reconnaître leur voie. Aussi se tournent-ils volontiers vers le nord. Avec un zèle touchant, il affrontent la poésie anglaise, la philosophie allemande, le drame belge et le roman Scandinave, qui sont autant de formes diverses du brouillard et du froid. J’en connais qui haïssent l’été, et qui attendent Ihiver comme on attend sa maîtresse. Mais tôt ou tard le soleil les ramène à lui. Ils s’aperçoivent que les idées les plus ingénieuses et les efforts les plus courageux ne valent pas une après-midi de repos dans un champ doliviers, en face de la mer bleue, sous un ciel bleu. Le soleil engourdit leurs nerfs : il cicatrise les plaies vives de leur cœur ; et paternellement, avec une sollicitude patiente et discrète, il ouvre leurs yeux à la splendeur des choses éternelles. Désormais c’est fini pour eux d’entendre l’appel trompeur des ondines. des nixes, des roussalkas, de toutes ces fées du Nord qui ont des voix si charmantes, mais point de corps et point d’àme. Elles sont filles de la Nuit. Les filles du Soleil ne savent point chanter comme elles, mais elles sont charitables et tendres, et quiconque s’endort entre leurs bras est sûr d’y trouver de beaux rêves.

Elles habitent près de leur père, dans les pays du midi, sur les bords de la mer Méditerranée. Dans nos pays du nord, le soleil ne vient jamais qu’en voyageur : comme les voyageurs, on le sent d’abord