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NOS MAÎTRES

tout autres, dont la différence, d’ailleurs, ne peut se définir, l’émotion étant, par sa nature même, indéfinissable. Mais qu’on se rappelle, par exemple, un tableau du symphoniste Rembrandt, ou des maîtres que nous appelons les Coloristes. Le plus souvent l’objet qu’ils peignent nous est indifférent ; ils ne nous montrent rien, ou ce qu’ils nous montrent est dénué de réalité et de vie, impuissant à nous suggérer une vie réelle de vision. C’est que leurs tableaux nous émeuvent surtout par l’agencement des lumières, et des lignes que baignent ces lumières. Chacun des éléments de la peinture a, ici, la valeur d’un accord harmonique : et ces peintres, pour ne pas représenter une vision réelle, n’en sont pas moins puissamment réalistes en ce qu’ils recréent une émotion totale, réelle et vivante. Mais ne sent-on pas combien cette émotion est spéciale, combien différente de l’émotion que nous suggère une œuvre de musique ?

Aussi la peinture émotionnelle, à côté de la peinture descriptive, a-t-elle un droit légitime à exister, et la valeur d’un art également précieux. Elle est seulement plus récente, étant un art d’émotions affinées ; et elle a produit des œuvres d’une beauté moins parfaite. Son maître premier (après peut-être le céleste frère Jean de Fiésole, puis le Pérugin, si ditférents des réalistes de leur temps), ce fut le poète Léonard de Vinci. Il nous donna l’émotion d’une lascive terreur, par le mystère d’expressions perverses et surnaturelles. Plus tard, un non moindre génie, Pierre-Paul Rubens, créa les plus intenses symphonies de la couleur.