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LA SCIENCE

d’autre qui lui soit préférable. Il donne à la satire un cadre tout prêt, il autorise un mélange constant d’observation et de fantaisie, et il permet en outre d’isoler le sujet qu’on traite, de le mettre au point pour le jugement du lecteur. J’ai relu, ce matin, les Voyages de Guilliver ; c’est un livre admirable, le type parfait de ce qu’aurait dû être le roman réaliste. Ah ! comme les aventures des Rougon-Macquart nous auraient semblé plus réelles, si M. Zola les avait transportées à Brodbignag ou chez les Houyhnyms !

M. Daudet aura, sans doute, lui aussi, relu ce livre immortel avant d’écrire ses Morticoles. L’Île des Morticoles, où il nous conduit, appartient en tout cas au même archipel que celles de Lilliput et de Laputa. C’est un pays de contes de fées pour les mauvais enfants ; un vilain pays oii tous les pouvoirs sont aux mains des médecins, où personne n’habite que des médecins et des malades, où l’art, la religion, la bonté, sont remplacés par la science. Mais c’est en même temps, pour peu qu’on y mette de bonne volonté, notre Paris d’à présent : car à Paris aussi la science est en train de tout remplacer, et les médecins de tout accaparer ; et, si la population parisienne ne se partage pas tout entière en médecins et en malades, il faut convenir du moins que le nombre des médecins y grandit d’année en année dans des proportions inquiétantes, et le nombre des malades dans des proportions plus inquiétantes encore.

Et j’imagine que les mœurs de nos médecins de Paris ne doivent guère différer, à l’exagération