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NOS MAÎTRES

ressemblante d’aspect à un homme réel, cette statue a sur lui une infériorité : le défaut de ne se point mouvoir.

Ainsi encore un drame, lu, paraîtra aux âmes délicates plus vivant que le même drame joué, sur un théâtre, par des acteurs vivants. Nous avons un besoin toujours plus vif, pour conserver les sentiments de l’art, que les impressions de la vie nous soient données, dans la vie artistique, par d’autres moyens que dans la vie réelle.

À ce besoin répond la Peinture. Les moyens qu’elle emploie pour nous suggérer artistiquement les sensations diffèrent entièrement des moyens employés dans la réalité. Car les couleurs et les lignes, dans un tableau, ne sont pas la reproduction des couleurs et des lignes, tout autres, qui sont dans la réalité ; elles ne sont que des signes conventionnels devenus adéquats à ce qu’ils signifient par le résultat d’une association entre les images ; mais aussi différents, en somme, des couleurs et des lignes réelles, qu’un mot diffère d’une notion, ou un son musical de l’émotion qu’il suggère.

Et la peinture, depuis que, au moyen âge, glorieusement elle apparut, demeura, comme jadis la sculpture, un art pleinement réaliste.

Les admirables maîtres primitifs n’eurent de soin qu’à recréer les sensations qu’ils éprouvaient. Leur ignorance des anatomies réelles était constante, extrême leur souci de l’expression : mais toujours ils ont peint le corps humain et la nature tels que, dans la disposition toute recueillie de leurs âmes, ils les voyaient.