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QUESTIONS D’ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE

Mais d’autant plus fort s’est développé en nous, depuis cinquante ans, le désir de l’autre originalité, de celle qui consiste à se distinguer de tout le monde par l’apparence extérieure de ce que l’on produit. On en est venu à croire sérieusement que c’était une nécessité pour l’artiste d’être original, c’est-à-dire de fournir au public une œuvre tout à fait différente de celles qui lui avaient plu auparavant. L’épicier sait que, pour satisfaire sa clientèle, il doit lui fournir du sucre qui soit bon ; mais l’artiste d’aujourd’hui s’imagine que son seul devoir est de fournir à sa clientèle des livres, des tableaux, qui soient absolument nouveaux. Et, comme il n’est lui-même, hélas ! pas nouveau du tout, comme il tend de plus en plus à n’avoir en propre ni une idée, ni un sentiment, il ne trouve rien de mieux que de donner à son œuvre une apparence nouvelle en mettant du bleu où ses devanciers avaient mis du rouge, en faisant des vers trop longs, si l’on a fait avant lui des vers trop courts, en affectant d’être idéaliste, s’il vient après un réaliste, ou inversement. Cette décroissance de l’originalité intérieure, et ce souci croissant de l’originalité extérieure, ce sont les deux faits qui résument toute l’histoire de l’art contemporain, aussi bien à l’étranger que chez nous.

Il n’en allait pas de même autrefois. L’artiste d’autrefois n’avait pas la prétention d’être un personnage sacré, supérieur au reste des hommes : il ne prétendait qu’à être, comme tout le monde, un honnête et consciencieux ouvrier, fournissant à sa clientèle le genre de travail qu’elle lui demandait.