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NOS MAÎTRES

veau, et à sa suite un genre nouveau, sont en train de se constituer dans notre littérature. Je crois que tout le monde, auteurs et public, est en train d’en avoir assez de ce qu’on appelle l’originalité, et que le temps est venu d’une littérature plus aimable et plus sûre, qu’on pourrait appeler, provisoirement, une littérature d’imitation. Je crois que la littérature de demain sera imitative, à moins qu’on ne préfère me faire dire qu’elle ne sera plus rien du tout.

Boileau (j’appelle de ce nom tous les vieux professeurs) disait qu’il y avait en art deux sortes d’originalités : celle qui provient de ce que l’on n’est point fait comme tout le monde, et celle qui provient de ce qu’on ne se résigne pas à produire des œuvres qui ressemblent à celles de tout le monde. La première de ces originalités a définitivement disparu : à force d’user nos pantalons sur les mêmes programmes scolaires, à force de monter dans les mômes trains, de lire les mêmes journaux, de nous disputer les mêmes places, de déposer nos opinions dans les mêmes urnes, nous sommes tous devenus absolument pareils. Si nous n’avions pas nos prénoms et la coupe de nos barbes, je ne sais pas comment nous arriverions à nous reconnaître nous-mêmes d’avec nos voisins. Nous ne pouvons plus penser, sentir, agir, que collectivement : de là toutes ces ligues, où nous nous enfournons dès l’âge de raison ; et des jeunes gens m’ont affirmé que les plus mauvais lieux leur paraîtraient sans agrément, s’ils ne se mettaient à plusieurs pour s’y aller divertir.