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QUESTIONS D’ESTHÉTIQUE LITTÉRAIRE

a choisi se démode, et voilà tout à recommencer ! Son livre a été, tour à tour, un grand poème dans la manière de Victor Hugo, un roman naturaliste, une série de complaintes envers libres, une étude psychologique, un symbole, un essai de culture du moi, un conte néo-chrétien. Mon ami a le travail un peu lent ; il veut que son œuvre soit au goût de son temps ; et le goût de son temps change si vite que mon pauvre ami le comparait, l’autre jour, précisément aux cheveux jadis roux de sa Sylvie, qui, maintenant, changent de couleur tous les soirs.

Mais, comme il continuait à se lamenter, j’ai levé mon doigt en l’air pour l’engager au silence, et je lui ai dit :

« Apaise ton cœur, mon ami, je crois avoir découvert le moyen de te tirer d’embarras ! J’aperçois à l’horizon, les premiers reflets d’un goût nouveau, qui, — ou je me trompe bien. — durera plus longtemps que les précédents. C’est un goût naturel et sage ; et, pour peu que tu le veuilles, tu as de quoi le satisfaire, car il exige justement les qualités que tu possèdes, une grande expérience et une grande méfiance, quelque modestie, le sens du style, le désir de bien faire. Et, si ce n’est pas ce goût-là qui sera le goût littéraire de l’année prochaine, c’est alors que l’année prochaine n’aura plus aucun goût ; auquel cas il te restera la ressouice de te tenir tranquille. »

Ce que j’en ai dit à mon ami était un peu, je l’avoue, pour le consoler ; car depuis dix ans qu’elles duraient, ses doléances avait fini par m’importuner. Mais je crois effectivement qu’un goût nou-