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NOS MAÎTRES

choses, soumis à elles, que nous avions conçu.

Dès lors nous avons été les esclaves du monde, et la vue de ce monde, où nous avons engagé nos intérêts, a cessé désormais de nous être un plaisir. Et la Vie que nous avions créée, créée afin de nous donner la joie créatrice, a perdu son caractère premier. Il faut donc la recréer ; il faut, au-dessus de ce monde des apparences habituelles profanées, bâtir le monde saint d’une meilleure vie : meilleure, parce que nous la pouvons créer volontairement, et savoir que nous la créons. C’est la tâche même de l’Art.

Mais où l’artiste prendra-t-il les éléments de cette vie supérieure ? Il ne les peut prendre nulle part sinon dans notre vie habituelle, dans ce que nous appelons la Réalité. C’est que l’artiste, et ceux à qui il veut communiquer cette vie qu’il crée, ne pourront, par suite de leur habitude mentale, ériger vivante une œuvre en leurs âmes, si elle ne s’offre pas à eux dans les conditions même où ils ont toujours perçu toute vie.

Ainsi s’explique la nécessité du réalisme dans l’art ; non point d’un réalisme transcrivant, sans autre but, les vaines apparences que nous croyons réelles : mais d’un réalisme artistique, arrachant ces apparences à la fausse réalité intéressée où nous les percevons, pour les transporter dans la réalité meilleure d’une vie désintéressée. Nous voyons autour de nous des arbres, des animaux, des hommes, et nous les supposons vivants ; mais ils ne sont, ainsi perçus, que des ombres vaines, tapissant le décor mobile de notre vision : et ils