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NOS MAÎTRES

livre : les Moralités légendaires. Cela ne tient à aucun genre existant, et vous n’y verrez pas une phrase qui n’apparaisse nouvelle, imprévue, telle qu’il eût été impossible à tout autre de l’imaginer. Et puis vous sentirez tout de suite que cette originalité est naturelle, que nulle de ces idées n’a été cherchée ; que ce genre n’a pas été créé par des méditations théoriques, mais s’est imposé, sans autres réflexions, à l’esprit de l’auteur.

Mais je ne puis relever ici les singulières qualités de ce livre : et je ne puis insister non plus autant qu’il conviendrait sur ses nombreux défauts, dont la plupart viennent précisément de ce que Laforgue a composé ses contes d’instinct, sans nul souci des règles ou des conventions ordinaires.

Les sujets qu’il a choisis, sans relever d’aucun genre, peuvent cependant se réduire à une intention commune, probablement à peine entrevue par l’auteur, mais qui nous apparaît aujourd’hui avec une extrême netteté. Danschacunde ces six contes, Jules Laforgue a voulu réaliser des mythes, c’est-à-dire représenter des légendes anciennes sous le vêtement moderne qu’elles peuvent recevoir. Les fables de la mythologie grecque, les traditions païennes, elles sont sans doute l’expression de la vie telle que la concevaient ces âmes lointaines, à travers les qualités spéciales de leur nature et de leurs mœurs. Transposer ces histoires dans notre monde moderne était impossible, si on ne les modifiait profondément : car notre vie s’est modifiée, et nous n’agirions plus comme ces hommes d’au-