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JULES LAFORGUE

ils créent ensuite leurs ouvrages, quelques-uns apportent nativement au monde une âme différente des âmes ordinaires : et ce sont les âmes géniales, qui peuvent ensuite créer des œuvres admirables, ou baroques, ou vulgaires, suivant les circonstances qui environnent leur vie. Et certes le pauvre Jules Laforgue avait une de ces âmes : d’instinct, invariablement, les choses lui apparaissaient autres qu’à la majorité d’entre nous. Il avait, en toute occasion, des idées que nous n’avions point : un paysage lui fournissait d’autres sensations, une musique d’autres émois.

Et. par le l’ait même de ce génie naturel, cette àme délicate a pu rester toujours simple, naïve, parfaitement ingénue. La plupart de nous, sentant la vulgarité primitive de notre esprit, c’est-à-dire sa ressemblance aux esprits voisins, doivent sans cesse travailler à modifier cet esprit primitif, à se créer une àme nouvelle, meilleure, plus originale. Mais l’âme géniale, naturellement différente des âmes voisines, ne connaît pas ces soucis. Elle peut s’exercer sans cesse ouvertement, apparaître toujours ce qu’elle est. Et il n’y eut pas d’àme plus simple, avec plus de charme et moins d’effort, que cette petite âme très douce, maintenant disparue. Celle-là, vraiment, aimait la vie : elle s’intéressait à toutes choses, offrant à toutes une curiosité d’avance un peu surprise, les alternances d’un discret sourire et de quelque tristesse craintive.

L’originalité naturelle des idées, et une ingénuité parfaite, ce sont encore les vertus de ce beau