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M. ANATOLE FRANCE

a fait voir comment de tous les modes de l’amour, c’était le plus passionné et le plus tragique. Là est même, si je ne me trompe, la signification dernière du Lys rouge. Pour avoir aimé Mme Martin de tous ses sens. Dechartre a connu, plus cruellement que personne, les angoisses du doute et de la jalousie. Et vraiment, ces angoisses ne peuvent manquer d’être cruelles d’autant plus, que se mêlent davantage à Tamour le désir et le plaisir de la possession. Si l’amour sensuel n’est point le seul amour, il est du moins le plus sérieux, et il n’y en a point à qui s’applique mieux tout ce que les poètes nous ont toujours dit de l’amour. Car il est à la fois respectueux et ardent, suppliant et tyrannique ; et, comme la raison n’y a point de part, les souffrances qu’il cause sont vraiment des blessures corporelles, telles que la raison ne les saurait guérir. C’est ainsi que Dechartre aime Mme Martin ; et c’est ainsi qu’il souffre à penser qu’avant lui un autre homme l’a tenue dans ses bras. Il est vrai que Mme Martin a aussi un mari, et que celui-là aussi l’a tenue, dans ses bras, sans que l’amoureux Dechartre ait jamais songé à s’en émouvoir. Mais, sans doute, M. France aura ainsi voulu nous faire entendre mieux encore comment il y a toujours dans l’amour une part d’irréflexion et de fatalité. Oui, c’est une folie que l’amour, et tout y est fait pour déconcerter la raison. Et de là, précisément, lui vient son étrange beauté.