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M. ANATOLE FRANCE

rigoureusement limité. Il s’est trop et de trop bonne heure accoutumé au rêve, qui ne souffre point de ces barrières, et se promène sur les choses d’un mouvement plus libre. Dans la nature et dans la vie, il distingue mille actions qui s’entrecroisent, il entend mille voix qui toutes le contraignent à les écouter. Développer une intrigue, marquer les temps successifs d’une passion, il le peut, et mieux que personne ; mais toujours à la condition de s’arrêter aux détours du chemin, pour cueillir une lleur ou pour s’amuser d’une image comique. Et ce qu’il fait de ses livres, à défaut de romans, lui-même nous le dit dans la préface de Jocaste : « J’ai joint à ce récit une petite chronique, que nous intitulerons, s’il vous plaît, le Chat maigre. » Oui, le Chat maigre est une chronique, et aussi Jocaste, et les Désirs de Jean Servien, et le Livre de mon Ami, et Sylvestre Bonnard, et cette Rôtisserie de la reine Pédauque qui suffirait à elle seule pour la gloire d’un grand écrivain. Chacun de ces livres est proprement une chronique ; c’est-à-dire que, à la façon des romans des siècles passés, l’auteur y a représenté la vie, tour à tour, sous des aspects multiples et divers. On y trouve le rire à côté de l’amour, la tendresse s’y mêle à la raillerie, et la fantaisie y alterne avec la raison.


Et c’est encore une chronique que le Lys rouge : une chronique où la part du roman est plus grande qu’en aucun des livres précédents de M. France ;