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M. ANATOLE FRANCE

banc du Luxembourg, je lus, je relus l’admirable histoire, où il me semblait en outre — je me le rappelle à présent — retrouver peinte une jeune âme pareille à la mienne. Etrange illusion, et qui prouve bien la toute-puissante magie du style de M. France : car mon àme d’alors e’tait simplement celle d’un mauvais collégien trop souvent privé de sortie ; et avec Jean Servien je n’avais rien de commun, sinon peut-être une égale aptitude à nous alimenter de chimères. Et je me rappelle que le lendemain je me repris à ma lecture avec tant de passion, que mon bienheureux livre me fut presque aussitôt confisqué ; de telle sorte que ce fut désormais au tour de mon maître d’études de s’attendrir sur les rêves de Servien et ses déceptions.

Je voulus du moins connaître ces préfaces que je me reprochais d’avoir dédaignées. Peut-être ne les connaissez-vous pas : ce sont des chefs-d’œuvre, et si je n’éprouvais pas un plaisir égal à tout ce qu’écrit M. France, je crois que ce sont ces préfaces que je préférerais. Jamais en tout cas le style de M. France n’a été plus pur et plus harmonieux ; et jamais on n’a parlé de La Fontaine et de Racine dans une langue qu’eux-mêmes eussent pu mieux goûter. Car la langue de M. France est celle précisément qu’auraient parlée ces poètes, si. avec les habitudes de leur temps, ils avaient connu les idées, les sentiments, et les passions d’à présent. « J’avais dès lors, dit son héros Pierre Nozière dans le Livre de mon Ami, un goût du beau latin et du beau français que je n’ai pas encore perdu.