Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée
184
NOS MAÎTRES

développant chez les Sages l’orgueil désintéressé qui naît de la connaissance ; chez les esprits moyens, cette vertu irréfléchie, dont M. Renan fait une duperie de la nature, qui est, en réalité, une habitude, et qui deviendrait un besoin normal ; chez les esprits moins élevés, la vanité de la force personnelle ; chez les ouvriers, l’ignorance des vaines instructions qui produisent les mauvais besoins, et, au contraire, la certitude religieuse d’une vie surnaturelle, où les obéissances seraient récompensées.

Et Platon, qui, jadis, avait chassé les Poètes de sa République, mais qui, depuis, aurait eu le temps de se convertir, corrigerait encore la doctrine de M. Renan, en donnant aux poètes le rang suprême dans l’Etat. M. Renan (toujours, peut-être par son ironie d’artiste) sacrifie volontiers l’art à la science. Il ne voit pas que la science est un moyen, dont le but est l’art. La science est un premier effort à recréer la Nature, en y mettant l’harmonie ; mais de l’évolution sont nées des âmes plus hautes que cette harmonie elle-même n’a point contentées. Elles mériteront, elles obtiendront la jouissance suprême ; au-dessus de ces apparences habituelles, où elles n’auront plus ni besoins ni fonctions, elles évoqueront la meilleure et plus réelle vie de rêves supérieurs. Et, lorsque la science aura terminé sa tâche, lorsque sera achevée la création de l’humanité nouvelle, artificielle et raisonnable, les hommes les plus fins, les plus hétérogènes, les « différents », auront cette exclusive curiosité de la création artistique : réunis, tous — deux ou trois — dans