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NOS MAÎTRES


rait : elle l’est seulement d’autre façon. Ces jeunes hommes ont pris du mal universel une conscience plus nette, et l’habitude plus affinée de leurs âmes fait qu’ils ont ressenti maintes douleurs plus fines.

Cet affinement résulte de causes multiples, évidentes : la lecture de Schopenhauer, offerte aux Français en des recueils bizarres de morceaux choisis ; la faillite dernière des aspirations romanesques ; le spectacle désolant de la démocratie, accélérant l’évolution fatale vers l’hétérogène ; et ce livre d’Amiel, peu lu, fort admiré. Mais plus active encore fut, aux écrivains de notre temps, l’influence de Richard Wagner pour éclairer en eux ce pessimisme congénital.

Les littérateurs, par tradition, dédaignent la musique. Combien ont écouté, dans nos concerts, pieusement, les morceaux de l’œuvre wagnérienne ? Combien connaissent un drame entier du Maître ? Où est l’écrivain qui a lu ses Écrits théoriques ? Mais les grandes œuvres, pour transformer une race, n’ont pas besoin d’être connues. Et ainsi, malgré notre ignorance, nous avons senti, tous, le puissant effet de cet art nouveau. Nous avons tous éprouvé à souffrir une joie plus aiguë, parce qu’il a plu à Wagner de suivre la voie de Schopenhauer et de dresser le gigantesque autel de ses drames à l’idole du Non-Vouloir.

Renoncer à la volonté de vivre était la conclusion de Schopenhauer ; c’est encore le sens philosophique de Parsifal. Tristan signifie l’appel de l’amour à la mort ; Wotan, la béatitude de l’Être divin parvenant à l’ataraxie.