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NOS MAÎTRES

M. de Villiers fut cependant ébloui par cette conception de la science. Il voulut la poursuivre et l’appliquer ; dans une nouvelle, Claire Lenoir, il essaya de l’interpréter telle qu’elle lui était apparue. Un des personnages de ce conte, hégélien avoué, nous explique ainsi les théories du Maître :

D’abord le monde que nous connaissojis par l’expérience habituelle n’est point la réalité. La fatale insuffisance de nos organes nous condamne à une erreur perpétuelle. — Adorer Dieu et nous résigner au mystère ? — Mais qu’est-ce que Dieu, sinon l’idée que nous nous en faisons ? Dieu n’est que la projection de mon esprit, comme toutes choses, car je ne puis sortir de mon esprit. — Mais les autres hommes ? Il n’y a point en réalité d’autres hommes : je suis l’Espèce, ne connaissant l’Espèce que par moi-même. Je suis le point par où s’exprime l’Idée du Polype-Humanité. — Et la maladie, la mort ? Néant aussi. L’Espèce survit à l’individu que nous croyons être, et que seul atteint la mort… L’Esprit est le fond de l’Univers. Comprendre, c’est le reflet de créer[1].

Une telle conception de l’univers eût peu séduit Hegel, émise par un disciple. Le subtil et ingénieux constructeur l’eût dédaigneusement renvoyée à son prédécesseur Fichte, qui, lui-même, eût vite aperçu le caractère positif, individualiste, nullement fichtéen de ces propositions.

C’est que M. de Villiers de l’Isle-Adam, tout en voulant être hégélien, et sans rien connaître des

  1. Claire Lenoir, passim.