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VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

mis, seront un sentiment jjrofond de sa supériorité native, une aptitude aux commandements, une incapacité d’agir et de réaliser. Ayant le désir du pouvoir, il s’intéressera d’abord au monde de nos réalités : mais, comme il est un diffèrent, comme il n’a point nos besoins et nos habitudes, les choses lui apparaîtront tout autres qu’elles ne nous apparaissent. Il négligera le point de vue immédiat, pratique, pour rechercher les causes lointaines et les subtiles explications spéculatives. Il observera le monde en philosophe : il méditera des théories sur l’enchaînement des phénomènes réels, leur valeur métaphysique, leur provenance ; poussé encore à cette considération théorique par un croissant dégoût de la réalité qui l’entoure : ne la verra-t-il point faite pour d’autres hommes, en tout dissemblables de lui ? Et ce dégoût méprisant des affaires communes montera, furieusement, dans l’àme du prince. Il aura été conduit par la philosophie à des considérations personnelles sur l’origine et la fin des êtres ; mais il apercevra dans la vie de notre temps, dédaignées et profanées, les vieilles idées que ses pères avaient défendues ; et par un sentiment d’impérieuse chevalerie, il ressaisira ces traditions, comme jadis il eût secouru la jeune vierge lâchement outragée dans les fabuleux royaumes héroïques. Au nom de la religion, de l’idéal, il traduira son mépris pour les scepticismes modernes. Mais, trop noble et trop fier pour donner à ce mépris la forme d’une injure, il s’armera, contre les réalités mauvaises, d’une ironie de prince ; cependant que grandira tou-