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NOS MAÎTRES

Je sais que la réalisation n’est point parfaite ; que tels rythmes sont banals, telles métaphores à jamais obscures ; que surtout M. Mallarmé s’est astreint aux règles traditionnelles du poème à forme fixe, et que l’ampleur de sa mélodie en a pu souffrir.

Mais qu’importent ces défauts, dès que l’on comprend la valeur superbe de l’effort artistique ! Exprimer par la poésie, par une poésie logique et composée, des émotions définies, et les plus hautes émotions !

Et puis je crois sincèrement que, malgré ses faiblesses, l’œuvre poétique de M. Mallarmé demeure aujourd’hui le meilleur modèle de ce que peut produire la musique des mots. Elle s’impose à notre affection par un charme profond et indéfinissable, issu, je crois, de ces deux caractères : la propriété et la nécessité musicales.

Avec une rare intellection esthétique, en effet, M. Mallarmé a toujours exercé son ancienne maîtrise des tons musicaux. Chacune de ses pièces est écrite dans un ton homogène et convenant à la seule émotion que le sujet doit produire. C’est, dans l’Après Midi d’un Faune, une légèreté fluide des syllabes, des alanguissements chauds, une modulation adorablement ancienne, et une alternance de mélodies fuyantes, puis précises, suivant que l’illusion s’atténue ou renaît, dans l’âme du faune évocateur. Dans la Prose pour des Esseintes, un emploi continu de mots brefs et lourds, et, durant tout le poème, un crescendo de passion ; et puis, pour briser l’élan, soudain ce vers, comme une cassure :


Que ce pays n’exista pas.