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Et cependant, l’infortuné continue de vivre et autour de lui, dans la petite ville même où il végète ainsi, un groupe d’admirateurs et de disciples s’est réuni, accouru des quatre coins de l’Allemagne pour travailler pieusement à l’entretien et à la diffusion de sa gloire. Sous la direction de la sœur de Nietzsche, Mme Elisabeth Fœrster, ils ont fondé à Naumbourg une façon d’académie ou d’institut, les Archives-Nietzsche, où ils s’occupent de recueillir, de classer et de publier tous les papiers laissés par le malheureux philosophe, en même temps que de surveiller la réédition de ses œuvres et de rassembler les éléments d’une biographie complète et définitive. Se figure-t-on ce que doit avoir de singulier, et de sinistre et de vraiment pathétique une séance aux Archives-Nietzsche ; ces nietzschéens enthousiastes plongés dans la lecture des brouillons du maître, s’efforçant de pénétrer sa subtile pensée, attentifs à recueillir jusqu’à la plus insignifiante de ses notes, pour l’édition de ses œuvres posthumes, tandis qu’à deux pas de là le maître lui-même, descendu au-dessous de l’enfant et de la bête, pousse de petits cris inarticulés en avalant la pâtée qu’on lui introduit dans la bouche !