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— Oui, dis-je, vous êtes heureux d’être sortis de la médiocrité des temps d’oppression !

— Pourquoi soupirez-vous ? dit-elle avec bonté et quelque inquiétude. Vous paraissez croire que cela ne durera pas ?

— Cela durera pour vous.

— Et pourquoi pas pour vous ? demanda-t-elle. Cela est certainement pour le monde entier ; et, si votre pays est un peu arriéré, il se mettra au niveau avant longtemps. Ou bien, dit-elle vite, pensez-vous qu’il vous faudra bientôt revenir en arrière ? Je vais vous faire tout de suite la proposition dont je vous ai parlé, et peut-être cela détruira votre inquiétude. Je voulais vous proposer de venir vivre avec nous là où nous irons. Il me semble que nous sommes de vieux amis et je regretterais de vous perdre.

Puis elle me sourit et dit :

— Savez-vous, je commence à vous soupçonner de vouloir entretenir un chagrin factice, comme ces ridicules personnages, dans plusieurs de ces vieux romans bizarres que j’ai parcourus quelquefois.

J’avais vraiment commencé à le soupçonner presque moi-même, mais je me refusais à le reconnaître ; je ne soupirai plus et je me mis à raconter à ma délicieuse compagne tout ce que je savais d’histoire sur le fleuve et le pays qu’il traverse ; et le temps se passa assez agréablement, et, à nous deux (elle ramait mieux que moi et semblait tout à fait infatigable), nous tînmes pied à Dick fort bien, si chaude que fût l’après-