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ce que j’ai vu de mes yeux donne bien l’idée de la vie que vous menez en général. Pouvez-vous me dire quelque chose de vos progrès après les années de lutte ?

— Il me serait facile de vous en raconter plus long que vous n’avez le temps d’en entendre ; mais je peux au moins indiquer l’une des principales difficultés qui se présentèrent : lorsque les hommes commencèrent à s’apaiser après la guerre et que le travail eut comblé à peu près la brèche faite dans les richesses par cette guerre destructive, une sorte de déception parut nous envahir, il sembla que les prophéties de plusieurs réactionnaires des temps révolus se réalisaient et qu’un niveau vulgaire de bien-être utilitaire serait, pour un moment, la fin de nos aspirations et de notre succès. Que l’éperon de la concurrence fût perdu, la production nécessaire de la communauté n’en avait été en rien gênée ; mais qu’arriverait-il, si cela endormait les hommes en leur donnant trop de temps pour la rêverie et la flânerie paresseuse ? Cependant, ce nuage sombre ne fit que nous menacer, et se dissipa. Sans doute, d’après ce que je vous ai dit déjà, vous devinerez le remède à un semblable malheur, si vous vous rappelez que beaucoup des choses que l’on produisait précédemment — denrées d’esclavage pour les pauvres, et pures inutilités pour les riches — avaient cessé d’être fabriquées. Ce remède fut, en résumé, la production de ce qu’on appelait autrefois art, mais qui n’a aucun nom parmi nous aujourd’hui, parce que cela