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dépenser, — je pourrais dire le gaspiller, — sur tel autre ouvrage, probablement inutile. Ami, toutes leurs inventions pour épargner le travail aboutissaient uniquement à augmenter le fardeau de travail. L’appétit du marché mondial croissait en raison du travail dont il se nourrissait : les pays compris dans le cercle de la « civilisation » (c’est-à-dire la misère organisée) regorgeaient des rebuts du marché, et la force et la ruse étaient employées sans frein à « ouvrir » des pays hors de ces limites. Ce procédé d’« ouverture » est étrange pour quiconque a lu les professions de foi des hommes de cette époque, mais n’a pas pénétré leur manière d’agir ; c’est peut-être ce qui nous montre au pis la grande tare du dix-neuvième siècle : la pratique d’une affectation hypocrite pour éviter la responsabilité d’une férocité réelle. Lorsque le marché mondial civilisé guettait un pays qui jusqu’alors avait échappé à ses griffes, on trouvait quelque prétexte clair, — la suppression d’un esclavage différent de celui du commerce, et moins cruel ; l’expansion d’une religion à laquelle ses promoteurs ne croyaient plus ; la « délivrance » de quelque forcené ou de quelque fou homicide, que ses méfaits avaient mis dans l’embarras au milieu des indigènes du pays « barbare » — bref, n’importe quel bâton avec lequel on pût frapper. Puis on prenait un aventurier hardi, sans principes, ignorant (il n’était pas difficile à trouver à l’époque de la concurrence), et on l’invitait, à force de présents, à « créer un marché » en brisant tout ce qu’il