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mais jusqu’à leur bouche. Une incroyable misère et une âpre gêne régnaient sur les champs qui, malgré l’agriculture grossière et négligente de cette époque, étaient si complaisants et si productifs. Aviez-vous quelque idée de tout cela ?

— J’ai entendu dire qu’il en était ainsi, dis-je ; mais quelle fut la suite ?

— Le changement, qui, en ces matières, se produisit dès les premiers temps de notre époque, fut d’une rapidité très singulière. Les gens envahirent les villages de la campagne, et, pour ainsi dire, se jetèrent sur la terre libérée comme une bête sauvage sur sa proie ; et, en un temps très court, les villages d’Angleterre furent plus peuplés qu’ils n’avaient été depuis le quatorzième siècle, et grossirent rapidement. Naturellement, cette invasion de la campagne fut une affaire malaisée à traiter, et aurait causé beaucoup de misère si le peuple eût été encore sous la servitude du monopole de classe. Mais au point où l’on en était, les choses s’arrangèrent bientôt. Les gens trouvèrent l’occupation qui leur convenait, et renoncèrent à essayer de se mettre à des métiers où ils devaient nécessairement échouer. La ville envahit la campagne ; mais les envahisseurs, comme les envahisseurs guerriers des temps anciens, cédèrent à l’influence de leur entourage, et devinrent campagnards ; et à leur tour, lorsqu’ils furent devenus plus nombreux que les hommes des villes, ils influencèrent ceux-ci ; en sorte que la différence entre la ville et la campagne alla en diminuant ;