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L’ÎLE AU MASSACRE

Le P. Aulneau en voyant leur air embarrassé demanda en souriant :

— Et c’est pour quand ce mariage ?

— Justement… répondirent ensemble les deux camarades.

Du coup, ils avaient repris leur aplomb, surtout Amiotte.

— Laisse-moi causer, dit ce dernier. C’est-y toi qui te maries ou moi ?

— C’est toi… T’étais pas si rassuré tout à l’heure, répondit La Londette en bougonnant.

Amiotte, cette fois, était lancé. Il débita son rouleau d’une seule haleine.

— Justement, c’est pour ça qu’on est venu. Fleur-d’Aubépine m’a dit comme ça, qu’elle voudrait bien qu’on se marie demain. Alors moi, j’ai dit que je ne demandais que ça, et puis que je vous en parlerais, à vous, mon Père, parce qu’on peut pas se passer de vos services, pas vrai, et puis à vous Monseigneur, parce que Front-de-Buffle ne veut pas me donner sa fille si je ne lui en donne pas un bon prix. Alors, Monseigneur, vous comprenez, j’avais pensé que si c’était un effet de votre bonté, peut-être que je pourrais donner à Front-de-Buffle, un couteau, un fusil et des cartouches…

La Londette souriait en voyant son ami reprendre son bagout. Il n’allait pas jusqu’à l’effronterie, mais la hardiesse de langage et celle de la demande n’étaient pas sans l’étonner.

Lavérendrye ne voyait que la bonne intention d’Amiotte. Il voulait se marier, et comme il ne pouvait pas le faire sans acheter sa femme, puisque telle était la coutume des Indiens, il s’adressait à celui qui pouvait l’aider. Au fond, il était amusé de voir ce petit bout d’homme conduire si bien ses affaires.

— François, dit-il à son fils, tu remettras à Amiotte ce qu’il désire, et nous nous ferons un devoir d’assister à son mariage, demain.

Quand Amiotte se fut confondu en remerciements, il se précipita dans la cour du fort, suivi de La Londette qui lui cria.

— Va pas si vite, je ne peux pas te suivre.

Mais Amiotte n’entendait plus. Des ailes le soulevaient. Il tomba dans la tente de Front-de-Buffle.

Celui-ci, gravement, fumait sa pipe. L’Indien comprenait un peu le français et le parlait à peine.

— Je regrette de te déranger, dit Amiotte en entrant. Mais je viens pour ta fille.

Front-de-Buffle grogna quelque chose. Et il fit signe à Amiotte de s’asseoir.

— J’ai pas le temps… Combien en veux-tu de ta fille ?

— Fusil… cartouches…

— Ta fille ne vaut pas ça, c’est encombrant un monument comme elle. Sais-tu quel poids ça représente dans les bagages ?

L’Indien ne répondit pas.

— Je t’en donne un poignard.

— Non.

— Non ? Eh ! bien, tu peux la garder ta fille.

Il faisait semblant de sortir quand La Londette entra.

— Eh bien, ce marché ? demanda-t-il.

— Il ne veut rien. Je lui offre un poignard et il n’en veut pas.

— Comment ? Il ne veut pas te donner sa fille en échange du fusil, des cartouches et du poignard que t’a donnés Monseig…

— Oh ! toi, dit Amiotte en colère, quand tu auras un peu l’esprit du commerce, on étouffera ici, l’hiver.

— Oui, oui,… grogna Front-de-Buffle, fusil… cartouches… poignard… prends ma fille…

Le lendemain tout le fort fut en émoi. Dès le matin, les squaws coururent les bois pour chercher des fleurs et décorer l’église. Les hommes essayèrent, sous la direction de La Londette, de tenter un nouveau coup de filet qui leur réussit. Marion, l’un des employés, eut la chance de tuer une belle pièce de gibier qui fut dépouillée avec joie et mise dans la marmite.

Fleur-d’Aubépine se trouvait entre les mains de Pâle-Aurore et de Rose-des-Bois. On l’avait conduite dans le lac où elle avait pris un bain. On l’avait parée à grands frais. Les colliers serrés autour de son cou alternaient avec les bourrelets de chair huilée. Quand elle entra dans l’église aux côtés de Lavérendrye qui lui servait de père, puisque Front-de-Buffle n’avait pas voulu quitter sa tente, elle essayait d’allonger sa rotondité en ne perdant pas un pouce de sa taille. Amiotte, fier comme Artaban, attendait au pied de l’autel.

La cérémonie se déroula au milieu d’une émotion profonde. C’était le premier ma-