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Un véritable artiste ne tient aucun compte du public : pour lui le public n’existe pas.

Il n’a point sur lui de gâteaux à l’opium ou au miel pour endormir ou gaver le monstre. Il laisse cela au romancier populaire.

Nous avons actuellement en Angleterre un romancier incomparable, M. George Meredith.

Il y en a de meilleurs en France, mais la France n’en possède point qui ait sur la vie une façon de voir aussi large, aussi variée, aussi vraie dans son caractère créateur.

Il y a en Russie des conteurs d’histoires qui ont un sentiment plus vif de ce que peut être la douleur dans un roman ; mais M. Meredith, non seulement ses personnages vivent, mais encore ils vivent dans la pensée. On peut les considérer d’une myriade de points de vue. Ils sont suggestifs. Il y a de l’âme en eux et autour d’eux. Ils sont interprétatifs, symboliques. Et celui qui les a créées, ces figures merveilleuses, au mouvement si rapide, les a créées pour son propre plaisir. Jamais il n’a demandé au public ce que celui-ci désirait. Jamais il ne s’est pré-