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ÂME BLANCHE

Ces bouquets, en s’épanouissant sous la tiédeur des rayons, dans l’odeur mielleuse des fruits et l’odeur aigrelette des fromages, amenaient en ce marché citadin et populaire un parfum tendre de renouveau, de rosée, de sève, faisaient penser à de féconds vergers de ferme, où, ça et là, une plante d’agrément a poussé.

Mme Veydt, que toutes les bonnes femmes de la place Saint-Géry connaissaient bien, n’était pas une cliente de choix : parcimonieuse, chipotière, il lui arrivait de disputer durant un quart d’heure pour trois liards. Elle venait là acheter son beurre, qu’elle voulait, en même temps, très bon et à très bas prix. Certaines des paysannes faisaient la moue dès qu’elles la voyaient apparaître ; et j’en entends toujours une, — une forte commère, haute en couleur et encore plus montée de ton, qu’on appelait Netche — lui dire, un jour, après un effréné marchandage qui avait mis cette femme hors d’elle-même :

— Tenez, Moederke[1], prenez-le pour rien, votre beurre ; le voici, je vous le donne, Il est à vous !

Et, s’emparant, bon gré mal gré, du cabas de la vieille dame, elle y enfouissait avec rage toute sa réserve de beurre, une pièce énorme, ce que nous appelons ici une « klonche » et qui pesait

  1. Petite mère